Petite voix
Il y a des histoires de pots de terre qui ébranlent des pots de fer.
Je vais vous raconter l’une d’entre elles.
Il était une fois un monde qui courait à sa perte.
A la vitesse de ceux pour qui le temps
Manque constamment.
Les animaux n’y pouvaient rien,
Les végétaux pas grand-chose
Et les minéraux encore moins.
C’est une sorte de bipède qui, en un siècle à peine,
Décida de couper les racines qui le reliaient au Monde.
Il devint ainsi unique par sa solitude.
Mais cette espèce ne faisait pas Une
Et des résistances partout il y eut.
Ces peuples authentiques des régions du monde
Qui savent qu’il vaut mieux perdre
Que de vivre sans honneur
Et qui furent ainsi éliminés avec rigueur.
Ce bipède là préférait largement
Ce qui fume, ce qui fait du bruit,
Ce qui est fort, ce qui est imposant,
A l’humilité du papillon
Le savoir faire de l’artisan
La ténacité de l’oiseau
Ou le bon sens du paysan.
D’ailleurs ce bipède très vite en vénérant l’argent
Perdit l’habitude d’aimer les gens.
Il adorait croire n’avoir besoin de personnes
Et sa vie ne devint que violence
Son quotidien perdit son sens.
Il vivait comme s’il était né aujourd’hui
Ou hier à peine.
Il voulait oublier qu’il avait au fond de lui depuis la nuit des temps
Deux spirales enchevêtrées portant la mémoire
Qui permet les regrets et redonne espoir.
A cet appel, il tentait de résister.
Ce souvenir n’était pour lui que douleur.
A quoi bon se rappeler une vie d’authenticité
Quand tout n’est plus qu’artificialité ?
Lorsque ses entrailles se tordaient
ou que son cœur palpitait
ou enfin que le sommeil le quittait
Il brûlait quelques cierges
En l’honneur de la rigueur
En hommage au carnage
Et ainsi rassuré
Supportait à nouveau
Et pour quelques temps encore
Au moins jusqu’au prochain sursaut
Le suicide lent qu’il avait pour boussole
Qui rend normal l’absurde
Et prétend sain ce qui désole.
Un jour, une poignée de ces Hommes,
Car c’est le nom de ce bipède,
Était réunie en Assemblée solennelle
A l’occasion d’une loi bien formelle.
La loi, c’était il y a longtemps,
Cet instrument aux mains des puissants.
Qui maintenant vous fait sourire
Mais hier nous faisait obéir.
A l’époque on appelait députés ou sénateurs
Une poignée en général ventripotente et masculine
Qui haranguait les populations
Pour des guerres de toutes sortes
Des crises de tout type
Des bouc émissaires de tout ordre
Faisant leur métier de la haine et du désordre.
Ce jour là, donc, un murmure posa sur un clavier
Une colère enveloppée d’espoir :
« Je suis seule à écrire mais non à le penser « .
Vous savez, c’est cette voix qui brise le brouhaha
En levant timidement le doigt
Dans une assemblée bruyante
Qui refuse l’interrogation
Ou dans certaines foules
Allergiques aux réflexions
Qui aiment filer tout droit
Même jusqu’à l’abattoir.
A ce souffle timide, rejoint bientôt par des mille,
L’Assemblée se figea,
Sa légitimité vola en éclat.
Enlisée depuis des années dans quelques privilèges
Elle tenta bien de sauver la mise
Afin de continuer son manège.
Mais lorsque cette fleur murmura au milieu des ruines,
Les spirales enchevêtrées se mirent à danser et rire.
Cette vibration provoqua chez le bipède immobile
Un réveil de son autochtonie à peine endormie.
La voix désormais sûre d’elle soufflait
Aux fleurs fanées que nous étions devenues
Que la seule fatalité qui paralyse
Est celle à laquelle nous nous résignons.
Et ainsi nous sommes nous permis de nouveaux pétales
Recouvrant la terre de cette vie qui attendait
Et que l’on croyait disparue à jamais.
Les monstres armés de chenilles crissant d’ acier
Des lanceurs de flamme, de balles ou de métal
Les ordres, les menaces et les répressions
Composèrent un chant du cygne,
Impuissants devant cette révolution.
De cette voix devenue millions
Jaillit un cri à l’unisson :
Soyons petits et vivants
Et non puissants et oppressants.
De commissions en réunions
De réflexions en discussions
Naissèrent les consensus évidents
Sur les sujets les plus importants.
Loin des ministères d’autrefois,
Cette foule experte inventa la société nouvelle
Qui aujourd’hui est évidence
Et autrefois n’était qu’un rêve.
N’oublions donc pas que c’est une voix timide
Largement reprise en écho
Qui réveilla nos âmes endormies
Et mit en marche le monde d’aujourd’hui.
Celui qu’il suffit de croire possible
Par notre créativité enfin réveillée.
Cette voix n’a peut être jamais existé.
Elle est celle qui en nous
Indique la voie,
Sûrement féminine,
Quand on croit perdre parfois
La liberté de nos choix.

